PRESSE / MEDIAS

TOUTE LA CULTURE – Y A PAS GRAND CHOSE QUI ME RÉVOLTE POUR LE MOMENT

« Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment », un coup de Tazer réjouissant à nos psychés.

« Soudain, on a arrêté de faire confiance à la réalité. Et on est tombé dans le sous-réalisme ». De cette honnête mais sombre constatation Alexis Armengol, LudovicBarth et Mathylde Demarez ont fabriqué et présenté lors du Festival Ambivalence(s) de Valence, avancé du Off d’Avignon la pièce foutraque et enjouée Y a pas grand-chose qui me révolte. Merveilleusement, les trois comédiens y jouent le non sens et la poésie de leur propos.

Le plateau est investi, la salle abandonnée aux convenances du théâtre. Le public est installé en quadri-frontal sur la scène. Au centre une table à manger et quatre chaises pivotantes, dans les coins laissés vides par les estrades deux portes, une cuisine, un frigidaire, un buffet et son pickup. Déguisés en cowboy on se sert  du saucisson et des apericubes. Au milieu du public et d’une déco des années 70 on fête le retour de Nicolas 15 ans après sa disparition. Mais très vite l’histoire se brise. Les comédiens allégés du quatrième mur sortent de leur personnage et reprennent la main parfois, l’intrigue elle même se rompt devant nos yeux sous la dialectique réalité-vérité.  La réalité menace de chuter dans le sous-réalisme, mais sera sauvée par la vérité.

Tu joues que tu joues pas ou tu joues pas ?

L’histoire est celle d’un deuil impossible. L’intrigue se saisit du thème si actuel du ghosting, Nicolas a disparu subitement laissant sans nouvelles ceux qui lutteront désormais à ne pas sombrer dans la nostalgie. Malicieusement le motif de la disparition est propulsé au sein même du couple personnage-comédien. Alternativement l’un disparaît au profit de l’autre. -Tu joues que tu joues pas ou tu joues pas ? Le spectateur, désorienté tente de se raccrocher à la réalité; mais un autre piège l’attend qui consiste en une réalité sédimentée en un mille feuille de choses essentielles autant qu’anecdotiques. La réalité nous provoque sans cesse pour s’évanouir devant nous. Restent les gags défendus en particulier par l’hilarante Mathylde Demarez, et reste l’édifiante angoisse. Émerge peu à peu  la vérité, celle décidée par chacun et qui se présente sous forme d’une fiction qui soutient les personnages, les comédiens et l’intrigue. Le final est épatant car il tricote la dualité dans la fiction. Tout est double. Les personnages-comédiens nous quittent en mimant de jouer au cerf-volants tandis que Nicolas est un mort-vivant, un acteur-zombie. – Je crois qu’il a une intention. nous rassure son ami.

Y a pas grand-chose qui me révolte est une pièce admirable sur le mensonge, celui sans lequel rien n’est possible ni nos vies, ni le théâtre. Les trois comédiens se placent au niveau de cette exigence du propos. Ils sont formidables.

26 MAI 2019 | PAR DAVID ROFÉ-SARFATI

SCENEWEB – Y A PAS GRAND CHOSE QUI ME RÉVOLTE POUR LE MOMENT

La vérité en trompe-l’œil d’Alexis Armengol

Avec Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment, les compagnies Théâtre à cru et Clinic Orgasm Society organisent un dédale de chausse-trappes drôle et stimulant, où la frontière entre fiction et réalité du théâtre se brouille.

Ce qu’il y a de bien avec Alexis Armengol, metteur en scène de la compagnie Théâtre à cru, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance de quoi ses spectacles vont être faits. Candide, Prométhée, l’alcool, ou la mémoire ont été quelques-uns des thèmes hétéroclites de ses spectacles passés. La question du réel maintenant, de la vérité, qu’il place au cœur de ce Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment construit avec les Belges de la Clinic Orgasm Society.

A quel réel se raccrocher ? Comment le partager ? Quelle consistance ont nos identités ? sont quelques-unes des questions abordées de biais lors des retrouvailles de Léo et Hugues avec Nicholas, leur frère/sœur, qui est de retour – et va même se transformer en revenant – après avoir disparu de la circulation pendant 15 ans. Voilà pour la seule information un peu solide et durable du spectacle, car pour le reste, tout ce qui se construit ici ne tarde pas à se défaire et l’on n’a jamais l’occasion de s’installer dans le déroulé confortable d’une fiction linéaire.

Au contraire, des informations contradictoires construisent des personnages flottants et les passages de la fiction à la réalité du théâtre se multiplient dans un jeu de chausse-trappes qui s’ouvrent sans cesse sous nos pieds. On chute ainsi dans un tourbillon de croyances sans cesse infirmées en compagnie de ces trois personnages/interprètes, cow-boys et girls, vestes de peau et éperons à roulettes, qui nous reçoivent dans leur maison – disposition en quadrifrontal – avec un intérieur seventies – murs tapissés de papier peint d’inspiration op art – autour de la grande table du salon. Qui a mangé les Apéricubes ? Nicholas a-t-il vraiment le cancer ? D’ailleurs, a-t-il au moins une prostate ? Est-il vraiment un homme ? La recherche de la vérité peut être vitale ou futile, émouvante ou loufoque, la vérité n’en reste pas moins toujours insaisissable. On creuse pour la trouver, à l’intérieur des choses et des gens, on pèle l’oignon des couches d’apparences et de faux-semblants qui la recouvrent. Pour quel résultat ?

Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment propose au final une forme plaisante, souvent drôle et stimulante, où le télescopage de différents niveaux de représentation permet de passer sans cesse d’un registre de jeu à l’autre, ce que les trois interprètes font excellemment bien. A défaire sans cesse le sérieux de la fiction, certes, le spectacle perd de l’intérêt d’un côté, qu’il regagne de l’autre avec cet air de liberté, ce charme dilettante propre aux spectacles menés par Alexis Armengol, qui se marie très bien avec l’audace cocasse de ses compagnons belges.

Eric Demey