La vérité en trompe-l’œil d’Alexis Armengol

Avec Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment, les compagnies Théâtre à cru et Clinic Orgasm Society organisent un dédale de chausse-trappes drôle et stimulant, où la frontière entre fiction et réalité du théâtre se brouille.

Ce qu’il y a de bien avec Alexis Armengol, metteur en scène de la compagnie Théâtre à cru, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance de quoi ses spectacles vont être faits. Candide, Prométhée, l’alcool, ou la mémoire ont été quelques-uns des thèmes hétéroclites de ses spectacles passés. La question du réel maintenant, de la vérité, qu’il place au cœur de ce Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment construit avec les Belges de la Clinic Orgasm Society.

A quel réel se raccrocher ? Comment le partager ? Quelle consistance ont nos identités ? sont quelques-unes des questions abordées de biais lors des retrouvailles de Léo et Hugues avec Nicholas, leur frère/sœur, qui est de retour – et va même se transformer en revenant – après avoir disparu de la circulation pendant 15 ans. Voilà pour la seule information un peu solide et durable du spectacle, car pour le reste, tout ce qui se construit ici ne tarde pas à se défaire et l’on n’a jamais l’occasion de s’installer dans le déroulé confortable d’une fiction linéaire.

Au contraire, des informations contradictoires construisent des personnages flottants et les passages de la fiction à la réalité du théâtre se multiplient dans un jeu de chausse-trappes qui s’ouvrent sans cesse sous nos pieds. On chute ainsi dans un tourbillon de croyances sans cesse infirmées en compagnie de ces trois personnages/interprètes, cow-boys et girls, vestes de peau et éperons à roulettes, qui nous reçoivent dans leur maison – disposition en quadrifrontal – avec un intérieur seventies – murs tapissés de papier peint d’inspiration op art – autour de la grande table du salon. Qui a mangé les Apéricubes ? Nicholas a-t-il vraiment le cancer ? D’ailleurs, a-t-il au moins une prostate ? Est-il vraiment un homme ? La recherche de la vérité peut être vitale ou futile, émouvante ou loufoque, la vérité n’en reste pas moins toujours insaisissable. On creuse pour la trouver, à l’intérieur des choses et des gens, on pèle l’oignon des couches d’apparences et de faux-semblants qui la recouvrent. Pour quel résultat ?

Y a pas grand chose qui me révolte pour le moment propose au final une forme plaisante, souvent drôle et stimulante, où le télescopage de différents niveaux de représentation permet de passer sans cesse d’un registre de jeu à l’autre, ce que les trois interprètes font excellemment bien. A défaire sans cesse le sérieux de la fiction, certes, le spectacle perd de l’intérêt d’un côté, qu’il regagne de l’autre avec cet air de liberté, ce charme dilettante propre aux spectacles menés par Alexis Armengol, qui se marie très bien avec l’audace cocasse de ses compagnons belges.

Eric Demey