GUILLAUME, JEAN-LUC, LAURENT ET LA JOURNALISTE, au Théâtre du Train Bleu / PRONOM, au 11 Gilgamesh Belleville : entretien avec Jeanne Lazar

Elle met en scène (et joue dans) GUILLAUME, JEAN-LUC, LAURENT ET LA JOURNALISTE, pièce programmée au Théâtre du Train Bleu lors du Festival d’Avignon off 2019, et joue dans PRONOM (que met en scène Guillaume Doucet), au 11 Gilgamesh Belleville. Jeanne Lazar répond aux questions de PLUSDEOFF. 

 

« Jeanne, pour quelles raisons vous êtes-vous intéressée à Guillaume Dustan, dans Guillaume, Jean-Luc, Laurent et la journaliste, après Hervé Guibert dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, autre écrivain qui était atteint par le virus du sida ?

— Ce qui m’intéresse particulièrement chez ces deux auteurs, c’est l’autofiction, le fait de parler de soi, du réel, de personnes qui ont vraiment existé. Cet intérêt est amplifié par le fait qu’ils ont été atteints par le sida. Tout ce qu’ils vivent est rendu plus intense par la présence de la maladie, ce qui m’intéresse davantage que l’écriture sur la maladie en elle-même. Hervé Guibert et Guillaume Dustan sont très différents dans la manière d’appréhender la littérature. Dustan a été pour moi une révélation de liberté. Se dire que l’on peut devenir écrivain sans respecter qui que ce soit, en étant à la fois un intellectuel et quelqu’un de la nuit.

— La polémique entretenue autour de certaines déclarations de Guillaume Dustan est-elle encore suffisamment vivace pour avoir compliqué votre projet de créer une pièce parlant de cet auteur ?

— Quand j’ai commencé l’adaptation de Guillaume Dustan, tout son discours autour du préservatif et du bareback me perturbait beaucoup. Même si ses prises de position lui ont valu d’être détesté par certains, je n’ai pas voulu mettre cela sous le tapis. Il est arrivé, très rarement, que l’on me dise que ce n’était pas possible de monter une pièce sur Guillaume Dustan. Mais, le plus souvent, mon projet a suscité de la curiosité. On voulait savoir comment j’allais aborder le sujet. J’ai l’impression que Guillaume Dustan commence à être compris par un plus grand nombre, qu’il est plus audible, notamment pour les vingtenaires et les trentenaires actuels, comme si de son vivant, Guillaume Dustan avait été en avance sur certaines choses. Je pense qu’il va devenir un classique.

— Si l’on peut être dérangé par certains propos qu’y a tenus Guillaume Dustan, ce qui est frappant dans les talk shows auxquels il a participé, que cela soit chez Dechavanne ou Ardisson, c’est la violence du procédé utilisé à son encontre, comme s’il comparaissait devant un tribunal. Selon vous, pourquoi Guillaume Dustan allait-il s’enferrer dans ce type d’émission ?

— La première fois que j’ai regardé ces émissions, j’ai eu l’impression que le Guillaume Dustan qui était en plateau n’était pas la même personne que celle qui écrivait de manière si légère et si intense. Je pense qu’il participait à ces émissions avec la volonté d’un partage et d’une démocratisation d’une contre-culture, ce que je trouve très généreux. Peut-être a-t-il endossé le rôle de provocateur, de diable, parce que c’est le rôle qu’on lui donnait. Dans ce type d’émission, il y a beaucoup d’hypocrisie. On parle de sujets de société comme la drogue, ou le sexe, mais dès que l’invité déborde, on prend une posture moralisatrice pour le détruire. La morale de celui qui décide de ce que l’on peut dire et de ce que l’on ne peut pas dire m’a donné envie de m’intéresser à la télévision. La pièce a comme cadre une émission de télévision à laquelle participe Guillaume Dustan. Je me suis demandé quelle émission de télévision cela pourrait être. Je ne voulais pas en faire quelque chose de vulgaire. J’avais envie d’une émission où l’on peut entendre l’écrivain et des contradicteurs conscients et intéressants. Une émission rêvée, où la violence est là, parce que le cadre télévisuel est par nature violent, mais où chacun peut être entendu. À la fin, c’est l’écrivain qui gagne. Cela m’importait beaucoup.

— Dans la pièce, comment restituez-vous la parole de Guillaume Dustan ?

— La pièce est l’adaptation d’un roman de Guillaume Dustan, Je sors ce soir. Guillaume Dustan passe une soirée à La Loco, où il retrouve des amis. Il se souvient d’un ami qui vient de mourir du sida. J’ai instillé des éléments du roman dans l’émission. Concrètement, il y a quatre personnages, dont Guillaume, qui est le personnage qui représente Guillaume Dustan, un Guillaume Dustan fantasmé, sans volonté de faire son biopic. Les autres écrivains présents sur le plateau, Jean-Luc et Laurent, empruntent les propos d’invités d’émissions qui ont vraiment existé, d’écrivains qui existent vraiment, et aussi de personnages de Je sors ce soir. Parfois, ils empruntent aussi des propos qu’a tenus Guillaume Dustan. Tout le monde est un peu Guillaume Dustan dans la pièce. Même si les quatre personnages sont très différents, la parole de Guillaume Dustan voyage. La journaliste, que je joue, est à la fois moi, qui pose des questions, et aussi une admiratrice de Guillaume Dustan et des deux autres écrivains qu’elle a invités. Mais elle n’oublie pas sa fonction. Elle décide quand elle est bienveillante et quand elle impose la morale. L’émission commence comme une interview de Ardisson, puis elle aborde des thématiques présentes dans les romans de Guillaume Dustan. L’usage récréatif des drogues. L’homophobie, à travers l’insulte. La condition féminine par le prisme de l’homosexualité. L’amour sans préservatif, ce qui va provoquer la rébellion de Guillaume face à cette émission faussement idéale.

— Durant le Festival, vous jouez également dans Pronom, une pièce de Evan Placey mise en scène par Guillaume Doucet, où est abordé le thème de la transidentité, à l’âge de l’adolescence. Dans vos choix de pièces, que cela soit à la mise en scène ou au jeu, y a-t-il une forme de militantisme de votre part ?

— Ce que je trouve formidable dans Pronom, c’est la légèreté, celle d’une comédie romantique, avec laquelle est traité le sujet. La légèreté et l’humour sont de très bons moyens de militer. Mais il ne s’agit pas de passer un message, ce serait horrible, je suis contre ça. Je trouve déjà merveilleux de représenter un personnage transgenre d’une manière positive et lumineuse, un adolescent qui a les préoccupations habituelles d’un adolescent. »

2 JUIN 2019 | PAR WALTER GÉHIN