JE NE SUIS PAS DE MOI

Si beaucoup connaissent Roland Dubillard pour ses pièces et ses savoureux Diablogues, on sait moins que toute sa vie ou presque, entre 1943 et 1998, il a rédigé ses Carnets en Marge : quelques mille pages publiées ou inédites accompagnent la vie de l’auteur et de l’homme.

Comment porter ces textes à la scène, se sont demandé les co-metteures en scène Maria Machado et Charlotte Escamez., Une évidence s’est imposée à elles : Roland devait répondre à Dubillard, Dubillard interrogerait  Roland, pour qu’ils ne fassent plus qu’un, comme “l’homme” et “le jeune homme”, à deux âges différents.

Dubillard et son double s’affrontent, donc, s’interrogent, s’ignorent, se mesurent l’un à l’autre dans un face à face sans merci. Dubillard veut écrire, Roland veut exister. «L’homme» et «le jeune homme» se disputent la scène jusqu’au bout. Complices, ils nous jettent leurs états d’âme, réels ou imaginaires, en pleine figure. En quatre séquences : l’enfance, l’âge adulte, la chute et la survie après l’accident, ils vacillent dans des humeurs extrêmes tels deux clowns métaphysiques jouant leur vie entre le sublime et le ridicule. Tous les moyens sont bons pour exister : la bouffe, la famille, Beethoven, le sexe, l’alcool, la littérature et les pots cassés.

Ils habitent un espace nu et débridé où s’insinuent progressivement la table et la chaise, le frigidaire et le tourne-disque, la soupière et les diapositives, le caillou et le hachoir, bref un bric à brac d’objets qui deviennent des partenaires suspects. Tandis qu’en contrepoint du texte, composé en direct, un univers sonore prolonge et distord le paysage scénique avec des textures qui craquent, grondent, chuchotent et rient.

Cette adaptation scénique des Carnets livre des confessions secrètes mais jamais impudiques et la soif de vivre insatiable de Dubillard malgré les grandes épreuves. Je ne suis pas de moi nous tend un miroir reflétant nos propres questionnements et pourquoi pas “l’impardonnable aveu de notre impuissance existentielle”?